Quand je serai grand. Je veux être…

25 septembre 2010

Quand je serai grand. Je veux être…

Dessinateur ! C’était la voie que je m’étais tracé des mes cours de catéchisme à l’âge de 9 ans. J’en ai pris pour 5 ans. A faire des bulles avec Jésus et des pastiches post-soixantuitard en 1971. Un petit démon en puissance qui faisait les 400 coups à sa môman. Le père m’a expédié illico-presto dans un Institut de rééducation à Dammartin sur Tigeaux (77). Bon débarras ! Deux ans plus tard me voilà devant un adulte pour l’orientation professionnelle.

« Moi, quand je serais grand. Je veux être dessinateur.

– Philippe ! Ça ne va pas être possible ! » me répondit-il.
« Dessinateur c’est un métier où il n’y a pas de débouché. Il faut que tu en choisisses un autre.
– Ah bon ! »
Plombier ! Cuisto ! Pompier dans une autre vie… Cow-Boy à cause des Mystères de l’Ouest. L’adulte m’encourage :
« – Oui ! C’est pour ton avenir, Philippe. »
Une étincelle éclaire mon visage souriant par nature :
« Electricien !
– Ça c’est un métier. »

Trois jours auparavant, un électricien était venu farfouiller dans le compteur électrique du château où nous logions.

Septembre 1975, me voilà parachuté à Saint-Lambert des Bois, avec toujours mes feutres et des feuilles pour dessiner. Le métier d’électricien se pratiquait après trois années de mécanique agricole. Heureusement, l’Horticulture m’a épargné la lime, la fraiseuse et l’huile de vidange. Le dessin était terminé. Le premier soir de vie dans le dortoir du Château, on m’avait volé mes feutres. J’ai eu beau pleurnicher l’éducateur, un certain Luis m’a annoncé la couleur : « Ici, c’est la collectivité ! »
A partir de ce moment, les larmes se sont retenues en public à jamais.

1977, j’étais maintenant au ranch. La punkitude transpirait. Sex Pistols, épingle à nourrice faisaient la nique aux anciens gominés rock n’roll qui tentaient de jouer les durs. La révolte avait sonné : No futur ! J’ai commencé à exprimer ma rage par l’écriture.

Quand je serais grand, je serais écrivain.
En attendant, j’étais coincé sous serre à apprendre le métier d’horticulteur. C’est un métier pour calmer le trop plein d’énergie au « caractériel ». Le terme m’amuse. Quoi la société nous reproche d’avoir trop de caractère ? Un comble ! Traduit de nos jours par « sauvageons » ou plus péjorativement de « racaille ». Aucun respect ! Même pour les plantes vertes… Mon sport favori était de me pointer entre deux tablettes de plantes vertes et armé d’un cutter dans chaque main courir pour trancher dans le vif de la chlorophylle.

Un nain de jardin de ma taille m’avait cherché dès le premier jour. J’ai réglé le différent avec un grand coup de râteau dans une vitre à l’intérieur de la serre. Alain C a eut juste le temps de s’écarter de mon massacre. Malgré mon 1m30 à 14 ans, j’étais d’une corpulence trapu. Teigneux par nature, il ne fallait pas me chercher. Le rouquin Fab plus grand d’une tête me provoque à son tour dans le dortoir du château. Je me jette sur lui les poings en avant. Je pousse un rugissement. L’éducateur Robert C nous sépare. Seconde bagarre dans l’atelier de « poterie » avec Fab.

Le géant Vert Christian D, prof de son état me donna l’amour pour les plantes vertes. La première année fut excellente. Je culminais dans les meilleurs de la classe. La passion du métier me coulait comme de la sève. Ça n’a pas duré. J’ai vite compris que si je continuais à ce rythme je rejoignais le rang des « fayots ». J’ai levé le pied de la motivation dès la deuxième année.
Fab devient un super pote. Lui est à l’Hacienda, moi au Ranch. Pendant ce temps là, le Logis noirçi ses pages d’histoires de la délinquance hebdomadaire : cambriolage, vol de voiture, fugue. De mon côté, je donne une image d’ange.

Quand je serais grand, je serais peut-être journaliste…

Je déverse mes premiers écrits sur un cahier d’écolier. Fab est fasciné par l’univers du film Orange Mécanique (Emprunté à la bibliothèque du Logis ?) et son fameux argot des Droogs. Un jour nous vient l’idée d’écrire un journal clandestin ayant pour thème éditorial : les 400 coups de la délinquance aux logis. Complètement excité par le projet on veut s’approcher au plus près de la réalité ambiante. Me voilà à rédiger mon premier article : comment trois équipes de cambrioleurs pénètrent dans le bar-tabac de Saint Lambert des Bois en un week-end ? La fouille en règle des voitures garées sur le parking de l’église pendant la messe du dimanche. La peur panique jusqu’à prendre un gant noir et marron dans une voiture. Le démontage en règle d’un auto-radio à deux minutes de la sortie de l’église de nos fidèles prêcheurs. Le stop pour rentrer au Logis un dimanche soir. Ça marche ! Fred a emprunté une voiture. La virée dans la zone pavillonnaire de Saint Rémy Les Chevreuses après une punition du week-end des éducs.

Nous en étions à notre premier numéro. Un journalisme tout terrain pour témoigner de cette jeunesse insouciante. Mais le tragique fait la « Une ». Gilles R, un type intrépide, fou d’escalade se tue bêtement un week-end au château. Une poule sur un balcon d’un éducateur, ça rend curieux. Gilles grimpe par l’échelle de sécurité. Il va donner à boire à la poule. C’est en redescendant qu’il glisse. Sa tête rebondit sur la rambarde du balcon du dessous. Le logis est sous le choc. On n’a même pas eu le courage d’écrire une nécrologie dans le N°2 de notre journal clandestin. On a préféré se s’aborder en sa mémoire. A partir de ce jour là, je n’ai plus cru en Dieu. J’ai continué à écrire.

Quand je serais grand, je serais écrivain.

Phil Marso, 14 janvier 2007

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